mardi 4 septembre 2018

Ghada Amer

Au Centre de création contemporaine (CCC) Olivier-Debré à Tours, l’artiste née au Caire en 1963 et passée par Paris et Nice (à la Villa Arson) avant de s’installer au Etats-Unis présente notamment une immense «peinture» végétale, Cactus Painting, composée de 16 000 cactus, qui se lit comme une critique de la mainmise des hommes sur l’art. Tout comme la vingtaine de toiles brodées visibles dans un espace mitoyen.
Phallus piquants. Le point commun à toutes ses œuvres, insiste-t-elle dans une vidéo, c’est de «questionner la non-présence des femmes dans la peinture» et souligner qu’elles en ont été «écartées, oubliées, effacées». C’est fait avec beaucoup d’humour dans Cactus Painting, immense tapisserie végétale qui emprunte, dans son dessin géométrique, les codes du minimalisme américain et la composition de l’Hommage au carré de Josef Albers. Les tonalités vertes et rouges des plantes, assemblées sur le mode répétition/variation, ont une magnifique harmonie et une texture enchanteresse. Mais si l’ensemble est réjouissant, c’est d’abord qu’il semble composé de minuscules phallus piquants qui sont autant de majeurs levés, dont l’espèce la plus modeste est naturellement la plus amusante - toutes ces petites boules tournées en ridicule. Il y a des années déjà, l’artiste confiait son sentiment que la peinture, au XXe siècle, était devenue «l’expression majeure de la masculinité, en particulier à travers l’abstraction».
C’est pour s’approprier ce territoire qu’en 1991, Ghada Amer s’est lancée dans la broderie sur toile, préférant à la gouache ou à l’huile un artisanat traditionnellement féminin. Ces toiles brodées sont devenues le versant le plus connu de son travail, très prisé par le marché, et dans la deuxième partie du parcours, intitulée «Dark Continent», on en retrouve une vingtaine, datées des dix dernières années. Y sont cousues des silhouettes féminines dans des postures suggestives empruntées à l’imagerie porno. Si l’on peine parfois à les voir, c’est que Ghada Amer a laissé pendre les fils au lieu de les couper. D’autres formes naissent de leur tombé, évoquant parfois les drips des expressionnistes abstraits, ces démonstrations de puissance masculine (Color Misbehavior), ou la linéarité de l’abstraction géométrique (la belle grille en noir et blanc de Through the Garden Gate) quand ils ne s’emmêlent pas avec une incroyable énergie (le furieux Red Bang, qui semble passé par un accélérateur de particules).
Laiton chromé. Tout cela est une bonne introduction, mais n’exhibe sans doute rien de très nouveau pour qui connaît déjà le travail de Ghada Amer. L’ensemble est un peu systématique, ce qui pourrait être, au choix, le reflet d’une absence de commissariat ou celui d’un travail devenu répétitif sur demande du marché.
Quant à ces petites sculptures de lapins et fleurs en laiton chromé, ils commencent par laisser songeur, car voilà bien une imagerie et un bestiaire dignes de Koons, qui sent la commande de galeriste. A y revenir, elles ont un twist bien trouvé : leur apparence leur donne l’air d’être en papier alu, matériau qui fleure l’humble et le domestique. Passage grinçant par la case cuisine.
Elisabeth Franck-Dumas Envoyée spéciale à Tours - Liberation